mardi 14 octobre 2008

LE MONDE.FR




Voici l'étape espagnole du Woody Allen European Tour. Exilé de sa bulle new-yorkaise pour cause d'épuisement de son crédit auprès des studios hollywoodiens, Woody Allen a débuté ce voyage européen depuis déjà quatre ans, pour son plus grand bénéfice artistique et financier. Après trois incursions successives en Angleterre (Match Point, 2005, Scoop, 2006, Le Rêve de Cassandre, 2007), et avant une probable halte en France, Vicky Cristina Barcelona, comédie sentimentale tournée à cent à l'heure, invite le public à un exubérant arrêt ibérique.

C'est à Barcelone, baroque et fiévreuse capitale catalane, que se déroule ce qu'il ne faut pas craindre de nommer l'espagnolade. Là, un beau matin, débarquent à l'aéroport deux belles jeunes femmes américaines, invitées à passer l'été par les parents éloignés de l'une d'entre elles résidant dans la ville.

Le film procède en partie de l'antagonisme qui caractérise ce tandem. Vicky (Rebecca Hall), la brune élégante, est une sage étudiante qui termine un mémoire sur l'identité catalane et a laissé au pays son fiancé, jeune businessman aussi piquant qu'un pot de yaourt. Cristina (Scarlett Johansson), la blonde explosive, est une épidermique velléitaire en quête de vocation artistique, d'expériences nouvelles et de sensations fortes.

Le réalisateur va donc s'amuser à soumettre ces deux modernes jouvencelles à un jeu trépidant qui brouille la donne de départ. Du moment où elles posent le pied sur le sol espagnol, les événements ne cesseront de s'accélérer, les esprits de s'échauffer, les coeurs de s'affoler. L'obtention de ce précipité passe par l'ajout d'un puissant réactif local. Il s'agit de Juan Antonio (Javier Bardem), artiste peintre exalté et ténébreux, qui, de notoriété publique, n'est jamais vraiment sorti de la relation passionnelle et violente qu'il entretient avec son ex-femme, Maria Elena (Penélope Cruz), qui a pourtant failli le trucider d'un coup de couteau.

Plus que les charmes réels de l'individu, c'est cette rumeur qui incite Cristina, avide de romanesque, à en tomber raide amoureuse lorsqu'elle le croise au vernissage d'une exposition. Et c'est sa faim d'expérience passionnelle qui l'incite à répondre favorablement à l'artiste lorsqu'il propose sans détour aux jeunes femmes de passer un week-end en sa compagnie à Oviedo pour y admirer une sculpture rare du Christ et y faire accessoirement l'amour à trois après un bon dîner. Rétive à cet épicurisme frelaté, Vicky, qui bat froid Juan Antonio, se laisse pourtant entraîner dans l'aventure par Cristina.


Et ce qui doit arriver n'arrive justement pas. Victime d'une inflammation ibérique de son ulcère, Cristina s'alite, et c'est Vicky, dont la froideur cache des trésors romantiques insoupçonnés, qui se laisse finalement subjuguer par l'arsenal vieux style (dîner aux chandelles, guitare au clair de lune...) que déploie à son intention le bellâtre tourmenté.

Mais le retour à Barcelone renverse de nouveau la donne, avec l'arrivée du fiancé de Vicky, qui organise leur mariage en Espagne, et l'installation de Cristina, conquise à son tour en quatrième vitesse, avec Juan Antonio. Chez qui ne tarde pas à débarquer Maria Elena, tout juste sortie d'une tentative de suicide, et avec la folie furieuse de laquelle Juan Antonio et Cristina finissent par composer un ménage à trois, façon corrida.


L'histoire, basée sur l'accumulation des péripéties, l'accélération des ellipses et le retournement des situations, se poursuit bien au-delà de ce point et le spectateur l'appréciera pour ce qu'elle est : une fantaisie débridée servie par d'excellents acteurs et des moments de comique jubilatoire, notamment dans l'outrance échevelée que Bardem et Cruz confèrent à la perversion morbide de leur relation.

Mais le film recèle bien d'autres intérêts. L'intelligence de son style d'abord, dont la vitesse et la perpétuelle fuite en avant des personnages s'accordent avec l'architecture baroque de Barcelone, très présente dans le film. Mais aussi bien la manière dont cette fable utilise l'imagerie populaire, voire les clichés les plus éculés (sur l'Amérique aussi bien que sur l'Espagne) pour en tirer, dans la tradition du classicisme hollywoodien, une vérité universelle sur l'inconstance des sentiments.

Mais ce détour européen, qui est aussi un retour en grande forme cinématographique, permet surtout de lancer une ultime hypothèse sur le cinéma de Woody Allen. La manière exceptionnelle dont le cinéaste retrouve ses fondamentaux en filmant hors de son territoire, là où tant d'autres les perdent, fait penser qu'il n'aura jamais complètement été ce réalisateur juif new-yorkais qu'on a voulu qu'il soit. Du moins pas davantage qu'il n'est aujourd'hui anglais ou espagnol. En vérité, Allen n'est rien d'autre qu'un alien, étranger à tout, à commencer par lui-même. Il est par conséquent partout chez lui, où chacune de ses apparitions (qu'il soit ou non à l'écran) est une disparition de plus. Ce programme instable, Woody Allen l'avait définitivement formulé dans un chef-d'oeuvre intitulé Zelig (1983). A 70 ans passés, il en accomplit le destin, et c'est assez magnifique.

5 commentaires:

Jaime a dit…

velléitaire
adj
& mf
veleidoso(a), vacilante

Jaime a dit…

donne: estado, situación (eng:deal)

affoler: to throw into panic (esp:turbar, alarmar)

trucider: cargarse, matar

vernissage:1.barnizado2.inauguración

déployer: 1, desplegar,abrir 2.exhibir,mostrar

fable: fábula (fam:hazmerreír, objeto de burla)

raide
I adj
1. (que no se pliega) rígido(a), tieso(a); j'ai les jambes raides tengo las piernas rígidas.
2. (cabello) lacio(a).
3. (actitud) envarado(a).
4. (cuesta) empinado(a).
5. (cuerda) tirante.
6. fam (difícil de creer) increíble.
7. fam (sin dinero) pelado(a); r. comme un passe-lacet sin una perra.
8. fam (con drogas) colocado(a).
II adv
1. violentamente.
2. (bruscamente) de golpe;
tomber r. mort caer muerto en redondo.
3. (cuesta) grimper r. ser empinado(a)

Jaime a dit…

Quelqu'un peux m'aider avec" l'outrance échevelée " de Bardem et Pe?


Pêut être il s'agit de quelque chose comme "la otredad encabalgada".

Je ne sais pas, mais quelle français si jolie a elu le redacteur de Le Monde, il m'a vraiment plu. Au propos de film, je veux recommander de le voir en v.o, parce que si non on peut perdre des blagues avec le changement idiomatique des personagges. Salut!

bizarro con interrupciones a dit…

Je n´ai pas eu encore le temps de la voir, bien que j´aime bien les films de Woody Allen, bien que dans les derniers temps j´ai attendé jusqu´au jour de les voir à la TV...je sais pas pourquoi mais les films de Woody me semblent toujours mieux à la télé...

Jaime a dit…

Jajaja, c'est vrai.

Mais ça c'est pêut être un effet du comparation, il y a tant de merde au tv... Jamais tu profiterais si bien n'importez quoi qu'a coté du OT